Nous avions rendez-vous à la gare avec Ali et prévu l’annulation ou le retard d’un train, mais pas de deux ! Un train passe à vive allure, pas pour nous ! « Éloignez-vous de la bordure du quai ! ».
À Montparnasse, nous dévalons les escalators et nous engouffrons dans la rame, mais un passager tire la manette d’alarme. De précieuses minutes s’écoulent avant que le train ne s’ébranle.
À Charles de Gaulle-Etoile, nous nous enfonçons dans les entrailles de la station en dévalant d’autres escalators… en panne. Il nous reste peu de temps. Dans le RER A, les yeux fermés, nous profitons de ces instants pour respirer et nous concentrer. À la sortie du métro, choix cornélien : sortie 2 (option RATP) ou 3 (City Mapper) ? Nous optons pour la sortie préconisée par la régie. Perdu ! Égarés entre les gratte-ciels, nous suivons les instructions erronées d’une passante, Google Maps nous fait tourner en bourrique, à moins que ce ne soit notre stress.
Mon rythme de marche ralentit Ali, je lui dis « Cours ! ». Je pose ma main sur son épaule et l’impulse. Quand j’arrive enfin à destination, je le vois à travers la vitre d’une des cabines. Il est concentré, fixe son interlocuteur, écoute, répond. Il me dira en sortant qu’il est arrivé juste au moment où il était appelé.
Alors je repense non pas à cette course contre la montre, mais à ce steeple-chase qui lui a permis d’être ici, ce 13 juin 2024 à 11h00. En sept ans, que d’obstacles surmontés : apprentissage de la langue, obtention de la protection internationale, adaptation au foyer de l’ASE, à l’école, obtention du bac. Il trouve un emploi en intérim, puis est victime de discrimination ; trouve un autre emploi. Il a parfois lâché prise, perdu espoir, puis repris espoir, déchiré par l’actualité de son pays natal, sans nouvelles des siens de longues périodes durant. Et toute cette paperasserie dont nous sommes venus à bout avec l’aide précieuse de notre responsable du pôle famille.
Et un beau jour, la tant désirée convocation ! Ali va pouvoir déposer sa demande de naturalisation ! L’avant-veille, l’une de nos intervenantes en FLE donne généreusement de son temps et accepte de finaliser sa préparation à l’interview. Ali lui confie : « J’ai passé plus d’un tiers de ma vie en France, quittant l’enfance pour aller vers l’âge adulte, mes rencontres m’ont tissé « une famille de cœur » : grande-sœur, petits frères et sœurs et même une ou deux mamans ! J’aime le mot fraternité ».
L’entretien est terminé. Ali sort d’un pas tranquille. L’examinatrice nous observe un instant avant d’appeler un autre candidat. Je regarde Ali et l’interroge « Le train de la nationalité sera-t-il à l’heure ? ». Réponse dans quelques mois. Nous sommes confiants. Un train de sénateur…