Une voie, deux voix

Témoignage croisé hébergeuse-hébergé

MARINE : Cela fera bientôt deux ans, je roulais vers le point de première rencontre : Blablacar oblige, un parking sur une aire de péage entre Angers et Cholet. J’étais impatiente, émue. C’était arrivé, comme ça, sur « Plate-forme d’aide aux exilés » : Scarabée cherchait un accueil pour un jeune prêt à quitter Paris pour la province. En huit jours, Scarabée a tout organisé : Ahmad arriverait ce vendredi de novembre vers 15h00. Étrangement, je ne ressentais aucune inquiétude, plutôt un soulagement : enfin, je pouvais, depuis ma campagne, apporter un petit quelque chose. Et nous nous sommes rencontrés : Ahmad souriait, je souriais ; il était beau et semblait rempli de douceur et de gentillesse. Il avait pour tout bagage un petit sac à dos et un sac en plastique.

AHMAD : Pendant le voyage, je me sentais excité et un peu inquiet. Je ne savais pas vraiment où j’allais, je ne connaissais de la France que Paris. Qui, comment était la personne chez qui j’allais vivre ? Quand je l’ai vue, je l’ai trouvée sympa. Dans la voiture, elle m’a posé beaucoup de questions. Je me suis rendu compte que je me débrouillais assez bien en français. J’étais content car, jusque-là, je n’avais pas beaucoup d’occasions de parler le français puisque je vivais avec d’autres exilés afghans.

MARINE : Puis ce fut notre première soirée et sa première nuit dans un lit trop haut et trop mou. Je lui ai proposé, en mimant, une histoire et une berceuse, ça l’a fait rire. Je crois qu’il se sentait bien et moi j’avais le cœur gonflé d’un sentiment mêlé de tendresse et de joie. Les premiers mois, Ahmad passait beaucoup de temps dans sa chambre et je ne voulais pas le bousculer. Il se levait très tard, passait beaucoup de temps sur son téléphone et prenait ses repas à des heures incongrues. Et voilà, je me retrouvais avec un « ado ». Zut, alors, j’en avais déjà eu quatre !

AHMAD : Quand même, j’ai un peu travaillé ! J’ai donné des coups de main à des amis de Marine, nourri des vaches, planté des betteraves, nettoyé des granges et des étables. J’ai aussi animé un atelier d’origami au centre social et participé à des sorties découvertes d’entreprises, spectacles.

MARINE : Deux années se sont écoulées. Nous avons mis au point des règles de vie, un rythme de repas et le partage du travail dans la maison. Ahmad est devenu expert en aspirateur-serpillière-raclette. Nous avons partagé nos recettes et chaque repas du soir était occasion d’échanges qui duraient parfois bien au-delà du dessert. Les confinements sont arrivés et la vie sociale s’est limitée à quelques entraînements de foot et un accompagnement de la Mission locale qui lui a permis, ajouté à un travail personnel quotidien, de progresser en français et de se préparer à « l’après réponse de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ». La présence d’Ahmad était un vrai cadeau pendant cette période compliquée. Dois-je y voir une réponse à mon questionnement sur le fait que nulle inquiétude n’avait accompagné ma décision d’accueillir un garçon dont je ne savais rien et qui était, sans doute, marqué par un passé forcément compliqué et douloureux ? Je l’ignore mais qu’importe ? Les questions sans réponse ne sont-elles pas les plus porteuses de sens ?

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Aujourd’hui, Ahmad, muni d’un titre de séjour, commence une nouvelle vie. Dans une semaine, il participera, via la Mission locale, au dispositif « Garantie-Emploi-Jeune ». Son objectif, une formation qualifiante en électricité, ne date pas d’hier. Ce pourrait donc être comme un rêve qui se réalise.

Merci à l’espoir, merci à la vie, merci à Scarabée qui nous a accompagnés. Combien de temps passé avec vous au téléphone à m’éclairer, me rassurer ? Nous avons beaucoup parlé, nous nous sommes découvert des passions communes. Là encore : hasard ? Destin ?

Pour terminer, une courte histoire. Un homme marche sur une plage. Il voit un enfant se livrer à un jeu qu’il ne comprend pas : l’enfant se penche sur le sable, court vers la mer, se penche à nouveau, puis revient sur la plage et recommence. L’homme s’approche et constate que l’enfant sort du sable une étoile de mer et la dépose dans l’eau.
« – Pourquoi fais-tu cela ?
– Pour que l’étoile de mer continue sa vie.
– Mais il y a trop d’étoiles, tu ne pourras pas les sauver toutes, ça ne changera rien!
– Peut-être mais, montrant l’étoile de mer qu’il vient de ramasser, pour celle-ci, ça change tout ! 
» 

Ahmad, mon étoile de mer ?